Quand j'avais 10 ans je me plaignais à l'intérieur de moi même,
en tournant les pages de mon encyclopédie des grandes inventions de ce que tout ait déjà été inventé, sauf peut être la téléportation... la maison
intelligente... les voyages dans l'espace … mais cela n'existait que
dans Astrapi. Quand j'avais 10 ans, quand j'écrivais la
date sur mes cahiers, la seule ligne à peu près propre, je me
demandais ce que dans le futur on penserait de mon présent quand on découvrirait mon cahier. Et puis comme je pensais à cela, je n'arrivais pas
à suivre la maîtresse et donc le reste des lignes étaient
illisibles. Quand j'avais 10 ans je me demandais comment les gens
avaient vécu l'arrivée de l'électricité, du moteur, de
l'aviation, du téléphone... et lisais avec délectation mes albums
« La Vie Privée des Hommes » … Et puis quand j'avais
10 ans, le mur de Berlin est tombé, et d'un coup les cartes de
géographie se sont complexifiées, d'un coup la liste des pays et
capitales s'est largement allongée, d'un coup je suis entrée dans
l'Histoire. Juste avant l'an 2000, l'Histoire avait tant progressé,
qu'elle était parvenue à un état de grâce : les USA, l'OTAN,
l'Occident, le marché a gagné, nous allons tous vivre dans une
paix éternelle grâce à la libre entreprise, à la libre
circulation des capitaux, des marchandises et des hommes, dans des
démocraties où tous seraient égaux en droits et devoirs, bien
nourris, bien éduqués et bien soignés. La guerre froide est finie,
le communisme a été battu à plat de couture : vive le capitalisme,
vive l"économie de marché ! Mais le capitalisme avait déjà toussé en 1973, en 1979 et puis
encore au milieu des années 80'. Ce sont des crises d'ajustement. Ces crises sont autant de jalons dans mon histoire. J'ai de la
chance, elles marquent mon imaginaire, mon environnement mais pas ma
vie intime. Mais combien ont ma chance ? Le cycle des crises
s'accélère, les crises s’amplifient. Qui après les années 2000
peut dire qu'il n'a pas été touché par La Crise. Après les années
2000 l'état de Crise est permanent, mondial. Le mot « Crise »,
un mot pudique pour cacher une réalité de misère, de peur, de
violence qui se développe ici, chez nous. Une misère qui ne peut s'expliquer
par l'exotisme, l’acculturation, le mal nécessaire au
développement. Une misère que l'on ne saurait voir : ce serait voir
que le marché n'est pas une solution absolue et universelle, ce
serait voir que les USA, l'OTAN, l'Occident n'ont pas gagné
l'Histoire. Le communisme avait perdu, on a tout jeté, renversé,
bazardé : le pire et le meilleur. N'y avait il pas un
meilleur ? le commun, l'égalité des individus, le long terme …
et les intellectuels de gauche... J'ai grandi dans une Histoire qui a
rejeté la pensée élitiste au profit de la loi du marché, des
sondages, des audiences et de Loft Story. Aujourd'hui dans l'état
de Crise permanente, le contingent des miséreux toujours plus
nombreux, toujours plus proche, nourri de Loft Story mais rejeté du
marché libérateur de bonheur, hurle « Tous Pourrit ».
« Tous Pourrit », « Tout Pourrit », un mot
gentil pour dire que toute l'Histoire que l'on avait écrite d'avance
n'a pas existé, et qu'il est tant de se la réapproprier.
Les élections dans les pays qui ont fait existé l'utopie du
bonheur par le marché révèlent l’existence physique et psychique
des « exclus » qui sont aussi des blancs qui sont peut
être vous, qui sont peut être moi. Des « exclus » qui
pour survivre se crament la tête avec des substances toxiques TV,
théorie du complot, machisme, alcool, drogue, cigarette, racisme,
extrémisme religieux, populisme...
Aujourd'hui, un smartphone entre les mains, je vis Révolution permanente. Je ne sais pas ce que les archéologues découvriront de mon présent, mais les data annalistes anticipent mon futur. Est ce un progrès ? Je ne sais pas. Mais c'est un nouveau paradigme, un autre système de pensée de l'homme au monde. Un changement de paradigme vécu comme une opportunité par ceux qui sont au monde dans une relation horizontale. Un changement de paradigme vécu comme un effondrement par ceux qui sont au monde dans une relation verticale et descendante... Peut on espérer que ces derniers identifie en l'un des premiers un leader qui regonfle leur égo, leur confiance en eux et en les autres ?
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