mercredi 30 novembre 2016

je suis là et c'est déjà pas mal #kissesfor2016

J'ai pas encore 25 ans, l'air est sec, le ciel toujours bleu, l'océan sans limite au pied des volcans, et je suis en vadrouille depuis plusieurs semaines… En vadrouille dans un minuscule archipel perdu dans l'Atlantique. En vadrouille dans mes études qui se terminent sans grande passion. En vadrouille dans ma future carrière qu'il faudra bien entamer d'une façon ou d'une autre. En vadrouille dans mon cœur, laissé en roue libre. En vadrouille dans mon corps, tout nu tout bronzé sous le soleil africain. J'ai pas encore 25 ans et je vadrouille plus ou moins seule dans un pays inconnu... et parfois j'ai un peu peur... J'ai pas encore 25 ans et je rempli mon carnet de voyage de mes ennuis, de mes interrogations, de mes couleurs, de moi. Cet après midi là, je ne me souviens plus de son prénom, mais il m'a emmené hors de la ville, du port, de la poussade... pour me montrer le volcan. Tout en laissant le vent faire voler mes cheveux, je me demande si je ne fais pas une connerie. Mais comme depuis le premier jour de ce voyage aux objectifs et conditions flous, chaque jour je me pose cette question... mes bras et mes mains caressent l'air soulevé par la route défoncée. « si je meurs aujourd'hui, ce n'est pas grave ».
Des poules, des chèvres, des champs pierreux... il est temps de rentrer. Il va faire nuit, et il ne veut pas risquer de se retrouver seul avec moi la nuit. S'il m'arrivait quelque chose, ce serait de sa responsabilité. Il faut rentrer, mais aucun véhicule ne s'arrête. Encore un pick up qui nous délaisse sur le bas côté... Je commence à descendre à pied. L'idée d'une randonnée ne lui plaît pas du tout. Encore deux véhicules, puis un autre qui passe en trombe. Puis plus rien. Le ciel devient bleu marine. Nous nous asseyons sur le parapet, l'océan est presque noir. Enfin un Hiace s'arrête. Nous nous installons parmi les poules et les ballots. Le Hiace enchaîne les virages… et là : le pick up qui nous a délaissé, est accidenté, ses passagers en sang. Le silence s'installe dans le Hiace. « si je meurs aujourd'hui, ce n'est pas grave »... dans mon carnet on pourra lire combien je me sentais bien dans mon vagabondage de pas encore 25 ans.
Quel égoïsme ! Quel contentement de moi même ! J'avais moins de 25 ans, l'impression d'être incomprise mais gourmande du monde. J'avais moins de 25 ans, j'étais insatisfaite et pas assez sûre de moi pour imposer une vision... J'avais moins de 25 ans, et je ne voulais que le meilleur. Je n'imaginais pour ma vie et mon avenir que gloires, fulgurances et étincelles. Je jouais au dur, parce que je pensais être une étoile : brillante mais trop loin pour être utile, trop clignotante pour être certaine d'exister... La possibilité d'exister ou de ne pas exister, me permettait d’esquiver la question, et surtout la réponse : à quoi je sers ? quelle est ma place ici ?

Et puis bien plus tard, après bien des errements sociaux, professionnels... j'ai rencontré Paul … et je suis devenue maman. Maintenant je réalise que si j'étais morte à moins de 25 ans cela aurait été très grave pour maman. L'incroyable relation mère enfant : on ne peut rien en attendre, et pourtant c'est un tout, un inconditionnel qui dépasse le bien et le mal. Un amour que l'on ne choisit pas. Je suis devenue maman. James m'a regardée du plus profond du noir de ses yeux pour signifier son individualité. Je suis devenue maman. Aimée a serré mon cou de son si petit bras pour se rappeler à moi. Je suis devenue maman, et je ne suis plus ton enfant. C'est toi qui est morte. Le temps s'est détendu, il a pris de l'épaisseur. L'air pèse lourd dans mon cœur et sur mes épaules. Un filtre de tristesse, une opacité ouateuse m’empêche de saisir la vie autour de moi. Allongée dans l'herbe, quand je n'avais pas encore 15 ans, j'ai été prise d'un vertige. Je me suis rendue compte de l'immensité de l'univers en regard de l' « infimité » du monde en nous. Je me suis rendue compte de la posture spéciale que je pouvais avoir entre ces deux échelles. Et la tête tournait, et la terre tournait, et j'étais au monde comme tu m'y avais élevée. De tous mes sens, de toutes mes émotions, de toutes mes croyances : pleinement. Et maintenant que je n'arrive plus à avoir d'emprise, comment être au monde ? aux autres ? Je regarde James, je regarde Aimée, Paul me tient dans ses bras : est ce qu'être ne suffit pas ?

Même si tu n'es plus là, moi je suis là, et c'est déjà pas mal. Le monde reprend des couleurs et des saveurs. Je suis là. Je danse et je ris. Je suis là. Je chante sur ma bicyclette et je pars marcher dans la neige. Je suis là. Je suis là, quelque soit ma place, quelque soit ta place. Je suis là et je pense à toi. Je suis là, mes enfants sont là. J'existe … et je lève mon verre à notre avenir glorieux. Bonnes fêtes !

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