lundi 3 avril 2017

mange ta soupe... une vie #intime à partager // pourquoi la #nourriture nourrit les corps et les sociétés?

Les dernières heures passées avec Maman, je n'ai eu qu'une seule obsession : te faire manger. France avait préparé des soupes de légumes de son jardin. A la cuillère, avec mes encouragements, maman a mangé ... un peu. Son pauvre corps meurtri n'en pouvait plus, mais elle a mangé, pour se refaire des forces, peut être pour me faire plaisir... La tête cotonneuse, pleine de questions, de peurs, de colères, je t'aide à tenir le bol de soupe, je te souris. Qu'il est difficile ce sourire. Comme j'ai besoin de pleurer. Depuis quelques années, tu as décidé de ne plus pleurer. Alors on ne pleure jamais plus. Nous n'avons pas pleuré ensemble. Mais cuillère après cuillère, je te regarde manger la soupe cuisinée par France. Tu te tiens droite, tu restes fières, tu restes incroyablement belle et lumineuse.
Tu es partie, même si les albums photos n'étaient pas tout à fait à jour. Tu es partie, et tu n'existes plus que sur des photos et dans nos histoires. C'est compliqué de réaliser que ton histoire n'est pas que la mienne : c'est encore une séparation. Même mon histoire, ton histoire doit être partagée par tant d'autres. Impossible de l'empêcher. Impossible de revendiquer un droit sur tes histoires, tes mémoires. Je suis même obligée de partager ton souvenir avec des personnes que je connais si peu, si mal... Mais je ne peux toujours pas entendre des anecdotes fadasses à ton sujet. Elles me semblent tellement superficielles par rapport à notre réalité que je continue à fantasmer...
Mon trésor, ne peut pas être réduit à une expression, il ne peut pas être raconté, mais il a été partagé : ce sont nos petits riens du quotidien. Pas des grands événements, stéréotypés, institutionnalisés. Mais ce quotidien, un style de vie inventé par toi, tes émotions, tes irrationalités, tes obsessions, ta patience, des goûts simples et libres. Un style de vie qui s'est patiné au contact des maisons où nous avons habité. Un style de vie qui t'était vraiment particulier : lent et agité, gourmand et frugal, beau et spontané. Mon trésor, la vie que j'ai partagé avec toi, ce sont tous ces dîners autour d'une table de cuisine ronde, qui tournait au fur à mesure des semaines. Tous ces dîners dans la langueur d'une terrasse vue sur les Pyrénées. Tous ces pique niques, dans les ruines romaines, sur les plages vaseuses, dans les prairies vertes, sur les aires d'autoroute... Tout ce quotidien qui nous a nourri. 
Aujourd'hui je ressens le besoin de préserver mon trésor. Empêcher qu'il ne soit dilué dans l'image d'un magma familial qui n'était pas mon quotidien. Un magma familial où les mamans ressemblent à des mamans, et les grands-mères à des grands-mères. Un magma familial que j'aime comme un spectateur... Je ne l'ai pas mangé, éprouvé, mâché, digéré. Toi maman, je t'ai mangée. J'ai mangé ta flamboyance, cette folie, cette classe, cette grâce, cette touche d'irrévérence qui est aussi toi.

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